Patrick Boucheron et Jean-Philippe Genet (dir.), Marquer la ville. Signes, traces, empreintes du pouvoir (XIIIe-XVIe siecle).
Champigny, Antoine
Patrick Boucheron et Jean-Philippe Genet (dir.), Marquer la ville.
Signes, traces, empreintes du pouvoir (XIIIe-XVIe siecle) (Paris:
Publications de la Sorbonne, 2014), 527 p.
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Les symboles du pouvoir politique sont partout, au Moyen Age tout
comme au debut de la periode moderne. Ils occupent l'espace public
et induisent une representation des institutions gouvernantes. La
semiologie de l'Etat est au centre du programme de recherche SAS
(Signs and States) mis en branle par Jean-Philippe Genet en 2009 avec la
collaboration du Laboratoire de Medievistique Occidentale de Paris
(LAMOP). Les << vecteurs de l'ideel >> forment le theme
du premier cycle de tables rondes dont les actes sont publies dans la
collection << Le Pouvoir symbolique en Occident >>. Le
huitieme volume, Marquer la ville, s'arrete plus precisement sur le
cadre urbain. Comme l'explique Patrick Boucheron en introduction,
l'idee est d'etudier ces signes dans leurs materialites
explicites afin de comprendre leurs significations concretes dans les
pratiques sociales qu'ils engendrent. Un grand nombre de
monographies traitent deja de monuments importants ou encore des
ceremoniels associes a un prince. Toutefois, cet ouvrage propose une
perspective comparatiste entre des phenomenes de marquage qui touchent
divers ensembles urbains. A ce titre, meme si les cites de l'Italie
du Nord et de Flandres sont bien representees dans l'ouvrage,
quelques contributions traitent egalement de villes un peu moins souvent
etudiees, comme Toulouse ou Amiens. Mais la principale reussite de
l'ouvrage demeure assurement sa facon d'offrir une perspective
sur la diversite des symboles qui peuvent etre etudies. Le colloque
ayant reuni autant des historiens de l'urbain et de
l'architecture que des specialistes des institutions politiques ou
religieuses, chacun des participants a pu apporter un angle particulier
sur une variete de cas, mettant a contribution une grande diversite de
sources documentaires.
Les vingt-deux contributions, partagees entre le francais,
l'anglais et l'italien, sont organisees en cinq ensembles. La
premiere partie, << L'empreinte du pouvoir sur la ville
>>, traite principalement des lieux de residence des dirigeants.
S'y cotoient notamment des articles sur les forteresses
seigneuriales italiennes du XIVe siecle (A. Zorzi) et sur les hotels
particuliers de l'aristocratie a Paris, entre le XVIe et le XVIIIe
siecle (F. Lemerle). Les contributions de cette partie ont en commun
d'illustrer la facon dont les batiments urbains evoluent autant
dans leur apparence externe que dans leur organisation fonctionnelle, de
facon a suggerer une certaine image du prince qui y vit. La deuxieme
partie, intitulee << Tracer, parcourir >>, effectue une
transition du bati vers la ville en mouvement: y sont etudiees les
significations que peuvent prendre par exemple la traversee des portes
d'une ville ou d'un arc de triomphe ou encore les itineraires
empruntes lors d'une entree solennelle. Le point de vue sur le
symbole n'est alors plus statique et ses possibilites de
representation s'en trouvent multipliees, comme le montre la triple
opposition illustree sur les differentes parties de la Porta Romana a
Milan, etudiee par J.-C. Schmitt.
Dans la troisieme partie, << Memoires des traces, duree des
villes >>, les articles montrent les diverses facons dont les
pouvoirs successifs d'un espace urbain gerent la presence de
symboles preexistants, inscrits dans la memoire des citadins. Le nouveau
prince a le choix entre le reinvestissement des marques anciennes, en
s'y associant de pres, comme ce fut le cas avec la famille Trinci a
Follgno au XIVe siecle (J.-B. Delzant), ou le developpement parallele
d'un nouveau centre du pouvoir, comme ce qui a pu se produire a
Toulouse tout le long du Moyen Age du fait de sa tres grande enceinte
(Q. Cazes). La quatrieme partie aborde avec une originalite surprenante
les marquages du paysage sonore, soit les << Cris, bruits,
musiques et rythmes de la ville >>. Que ce soit par le biais
d'une institution comme les academies italiennes, qui parfois
produisent des representations musicales en public (I. Mai Groote), ou
simplement par la diffusion d'un nouveau style de chanson sous
l'influence de la cour de Cosme Ier de Medicis (P. Canguilhem),
cette partie offre quelques exemples de la maniere dont le pouvoir
arrive a produire des signes lui etant associes, et ce, dans tous les
aspects de la vie quotidienne. Finalement, la cinquieme partie se penche
sur << Les marques de la concorde >> au sein de la
communaute urbaine, par exemple celles qui permettent a tous ses
habitants de participer a la constitution des espaces publics (T.
Dutour). Le livre demontre avec succes, de par ses differentes
approches, comment la rhetorique du pouvoir s'incarne dans les
marques les plus variees. Le corpus des symboles a etudier peut
s'etendre a l'Infini, surtout si l'on porte une plus
grande attention aux marques les moins visibles, celles d'acteurs
anonymes qui temoignent du dialogue constant se jouant sur les places
publiques (E. Crouzet-Pavan).
Toutefois, il apparait que la comparaison entre les differents
phenomenes de marquage ne soit pas aisee. Malgre la conclusion de
Jean-Claude Maire Vigueur, les liens demeurent incomplets et la synthese
fait defaut. La partie sur la musique ainsi que la contribution
d'Elisabeth Crouzet-Pavan demontrent avec succes la pertinence
d'elargir l'eventail des signes etudies. Ce livre interessera
autant les historiens de l'urbain que les specialistes des
institutions politiques.
Antoine Champigny
Etudiant a la maitrise en histoire
Universite du Quebec a Montreal